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Epargne d'entreprise : une prise de risque anormale pour l'employeur, comparée à la protection santé/prévoyance qu'il offre à ses salariés

Aucun employeur n'a à choisir les médicaments pour ses salariés, mais tous les employeurs doivent choisir la gamme de fonds pour l'épargne de leurs salariés !

 

Les employeurs supportent par là les risques liés aux aléas des marchés financiers, d'une part, et les risques d'erreur de choix par leurs salariés, d'autre part.

 

En matière de santé de ses salariés, l'employeur se contente de financer une partie de la couverture Frais de santé de ses salariés ; il choisit simplement l'assureur et l'organisme qui rembourse les frais engagés selon la grille établie dans le régime. Chaque salarié choisit lui-même son médecin, qui pose un diagnostic et rédige une ordonnance pour obtenir des médicaments ou pour l'envoyer à l'hôpital.

En matière d'épargne salariale, la règlementation actuelle met l'employeur dans une situation délicate : il doit choisir une gestion financière pour permettre à ses salariés de placer en produits financiers les primes de participation ou d'intéressement sur un PEE ou un PERCO, afin de bénéficier d'exonérations fiscales spécifiques.

En quelque sorte, l'employeur ne se contente pas, comme en santé, de financer les primes de participation, d'intéressement et les abondements éventuels. Non ! Il doit aussi choisir le gestionnaire financier = l'hôpital et les médicaments = les fonds d'épargne salariale. De plus, il est tenu de surveiller la qualité de la gestion financière car il doit siéger dans les conseils de surveillance des fonds d'épargne salariale.

Lorsqu'il choisit une gestion financière, l'employeur a intérêt à satisfaire tous ses salariés, sachant qu'ils présentent naturellement des profils d'épargnants variés : tolérance au risque financier plus ou moins élevé, niveau de patrimoine variable, horizon de placement plus ou moins lointain.

Pour satisfaire tout un chacun, l'employeur tend à proposer des gammes de fonds assez étendues et des styles de gestion variés (libre, orientés retraite, ou sécurité/équilibre/dynamisme). Un tel choix crée rapidement chez les épargnants le stress de l'embarras du choix.

Qui peut aider le salarié épargnant face aux choix qu'il a à faire, au moment de placer son épargne ou pour en suivre l'évolution ou reprendre son argent ?

Reprenons le parallèle avec la santé : pour choisir un traitement médical, une personne peut consulter facilement un médecin, dont le financement est organisé par un système somme toute bien rodé et il se trouve qu'en France, un système de médecine libérale permet aux personnes de consulter plusieurs médecins et de les choisir à sa guise.

En matière d'épargne salariale, le salarié est SEUL. Il doit s'auto-gérer pour choisir parmi les gammes de fonds et de gestion qui lui sont proposées :

  • Son employeur n'a ni le droit ni la compétence pour lui dispenser des conseils en investissement financiers,
  • S'il appelle la plateforme de gestion des comptes d'épargne salariale, on lui donnera poliment des informations sur les fonds proposés, mais en aucun cas on ne le guidera pour choisir la gestion qui lui convient à lui, en fonction de ce qu'il est, de ce qu'il souhaite, de ce qu'il peut supporter.

Vous savez que lorsqu'on s'adresse à sa banque ou qu'on veut achète un produit financier sur Internet, on se voit obligatoirement poser toute une série de questions qui visent à vérifier qu'on a bien compris la nature du fonds qu'on convoite. Sur Internet, il est même possible que votre banque refuse de vous laisser acheter un produit sans vous parler au préalable, au motif que vous n'avez pas été un investisseur actif dans les mois précédents.

Une règlementation protectrice de l'épargnant, de plus en plus affinée, s'installe depuis une quinzaine d'années en France, notamment sous l'impulsion de l'Union Européenne, avec les transpositions des directives MIF 1 et MIF 2, cette dernière tout juste appliquée depuis le 1er janvier 2018 - Cf. le résumé MIF 2 sur le site de l'AMF. Or, cette règlementation protège TOUS les épargnants, SAUF ceux qui détiennent des produits financiers via leur employeur. Bizarre, non ?

 

J'en arrive à une conclusion en plusieurs branches :

 

En tout état de cause, il faut que l'épargnant salarié ait la même protection que l'épargnant individuel. Il faut mettre fin à cette exception aberrante de l'épargne salariale restée en dehors de la réglementation MIF.  Par là, on soulagera l'employeur du risque que ses salariés fassent de mauvais choix financiers et se tournent vers lui pour le lui reprocher, alors qu'il ne les a pas conseillés. Ils ont fait leurs choix avec un tiers indépendant rémunéré pour cela (qui est soit un conseiller en chair et en os, de visu ou via une plateforme téléphonique ou par mel, ou soit un robot-adviser - l'intelligence artificielle permettait de faire des merveilles semble-t-il).

 

S'agissant des difficultés auxquels est confronté l'employeur pour choisir et surveiller les fonds d'épargne salariale et le/les gestionnaires, rappelons le contexte actuel : le gouvernement planche pour les inciter à partager le profit via des dispositifs de participation et d'intéressement revisités et les primes correspondantes auront vocation à remplir des plans d'épargne salariale, notamment pour financer les retraites et résonnent déjà les appels au placement par défaut de ces primes dans les dispositifs d'épargne longue type PERCO ou PERE.

  1. Les employeurs qui le souhaitent pourraient continuer avec le système existant et alors assumer leurs choix. Les grandes entreprises seront probablement candidates pour tout ou partie de leur épargne salariale, ou seulement pour la partie des encours investis dans leurs propres titres.
  2. D'autres employeurs pourraient apprécier des solutions individuelles d'épargne proposées à leurs salariés, plus abouties que les Plans d’Épargne Inter-entreprises (PEI) inventés il y a près de 20 ans. Certains imaginent des comptes d'épargne salariale attachés aux salariés durant toute leur carrière, alimentés au fil du temps par leurs employeurs successifs, pour le coup totalement départis de la gestion financière qui y serait effectuée. Ce type de solutions convient bien aux TPE et PME. Notons au passage qu'elle résout simplement la question des sommes orphelines en épargne salariale (plusieurs milliards parait-il seraient non réclamés par leurs propriétaires et stagnent à la Caisse des Dépôts et Consignations). Les techniques sont là qui permettent d'organiser de tels dispositifs (blockchain).