· 

Hausse des primes d'intéressement en vue pour quelques privilégiés

La lecture des débats parlementaires sur le chapitre Participation Intéressement de la loi Pacte révèle des évolutions surprenantes :

  • La hausse du plafond individuel d'exonération de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu pourra fortement augmenter la prime d'intéressement de certains salariés,
  • Une mesure d'apparence favorable aux salariés sur la répartition de la participation n'apportera que peu en pratique aux autres salariés.

Les choses sont alambiquées, comme souvent, s'agissant d'épargne salariale. Tentons d'y voir clair.

 

Tout d'abord, rappelons rapidement comment sont calculées les masses globales d'intéressement et de participation, avant de rappeler comment ces masses sont réparties entre les bénéficiaires (les salariés et, dans les entreprises de moins de 250 salariés, aussi les chefs d'entreprises non salariés et leur conjoint) :

  • La masse globale d'intéressement est le résultat d'une formule de calcul définie dans un accord avec les salariés, à partir du progrès d'indicateurs de performance et de résultats financiers propres à l'entreprise. Cet "Intéressement global" est exonéré de cotisations sociales dans la limite d'un plafond dit collectif égal à 20% de la masse des rémunérations annuelles brutes des bénéficiaires.
  • La masse globale de participation aux résultats, appelée Réserve Spéciale de Participation (RSP), est issue a minima d'une formule fiscalo-comptable réputée complexe, mais relativement efficace. Il n'y a pas de plafond pour la formule dite légale et dans certains secteurs, la RSP peut être très importante, dans d'autres, elle peut être structurellement nulle. L'entreprise peut négocier une masse de participation plus élevée - dit accord de participation dérogatoire, dans la limite de plafonds légaux (la moitié du résultat net comptable par exemple).

Voilà donc comment se constituent le "gâteau" Intéressement ou le "gâteau" Participation. Maintenant, voyons comment ces gâteaux sont répartis entre les bénéficiaires.

Modes de répartition de l'intéressement ou de la participation entre les bénéficiaires

L'intéressement global et la RSP sont répartis selon des critères uniformisés depuis de début des années 2000 et sont fixés dans l'accord - c'est un des enjeux de la négociation. Trois critères de répartition peuvent être utilisés :

  1. Répartition selon le salaire
    • Ce critère suit la hiérarchie des rémunérations : Les gros salaires reçoivent une prime plus forte que les petits
    • Ce critère est utilisé le plus souvent pour la totalité de la prime dans les petites entreprises. Dès qu'il y a négociation avec des syndicats ou des instances de représentation du personnel (au delà de 50 salariés), ce critère est moins utilisé au profit du temps de présence.
    • Le salaire de référence est plafonné à actuellement 4 PASS pour le partage de la participation et rien pour le partage de l'intéressement.
      • La loi PACTE prévoit de d'abaisser le plafond du salaire de référence de la participation à 3 PASS (amendement voté en commission spéciale début octobre 2018 voté en 1ere lecture). On voit dans les accords des grandes entreprises comme les DS et IRP savent déjà négocier ce point. Dans les petites entreprises, très peu d'accord de participation sont en place (obligatoire qu'au delà de 50 salariés), cette mesure ne les concernera donc pas. A mon avis, la mesure a été présentée comme salutaire pour l'équité entre les salariés, mais elle aura en pratique une portée limitée. Il sera intéressant de voir des simulations à partir des statistiques de la DARES sur ce point.
  2. Répartition selon temps de présence
    • Les salariés ayant la même présence perçoivent la même prime
    • Un certain nombre d'absences sont considérées comme de la présence effective
  3. Répartition uniforme
    • Tous les bénéficiaires perçoivent exactement la même prime, quel que soit leur salaire et leur présence effective dans l'entreprise. Ce critère est très peu utilisé.

Il est possible de combiner les 3 critères, mais en les appliquant à des sous-masses distinctes. La définition des critères est étroitement règlementée dans le Code du Travail et des plafonds d'exonération sont définis, ils sont différents pour l'intéressement et la participation.

La loi PACTE harmonise par le haut des plafonds d'intéressement et de participation

Des plafonds d'exonération déjà très élevés

Aujourd'hui, la prime que peut percevoir un bénéficiaire est plafonnée respectivement à 75% du PASS pour la participation, soit 30 000€ environ et 50% du PASS, pour l'intéressement, soit 20000€ environ. L'augmentation du plafond individuel de la participation par rapport à l'intéressement avait été obtenue il y a des années par le sénateur Dassault, dont le groupe était un ardent distributeur de participation selon une formule dérogatoire et qui voulait favoriser ses cadres supérieurs.

La loi PACTE en 1ere lecture prévoit d'augmenter fortement le plafond de l'intéressement

Il sera intéressant de connaitre la distribution statistique actuelle des primes d'intéressement par montant entre les bénéficiaires. On imagine aisément qu'un certain profil d'entreprises à forts salaires profiter de l'aubaine pour modifier leur formule d'intéressement et occuper à plein le nouveau plafond. L’écrêtement des primes d'intéressement et leur répartition aux autres salariés - aujourd'hui interdit en franchise d’impôt et de cotisations devient autorisé (amendements 201 et 2148). Les holdings sont notamment les candidates idéales pour développer des rémunérations défiscalisées et désocialisées plus importantes.

L'instrumentalisation de l'intéressement pour faciliter la transmission d'entreprise pourrait expliquer ce mouvement de hausse du plafond de l'intéressement

Citons le député Stanislas Guérini qui défend son amendement no 2578 lors des débats jeudi 4/10/18 :
"Cet amendement est, à mes yeux, en plein accord avec la philosophie de ce texte. Monsieur Fasquelle, vous nous disiez qu’il aurait fallu faire bouger les lignes. Eh bien, nous le faisons, avec cette proposition, qui vise à mieux partager la valeur en cas de cession d’une entreprise. Dans un certain nombre de cas, les actionnaires qui cèdent l’entreprise peuvent ou veulent reverser une part de la plus-value de cession aux salariés. Mais, aujourd’hui, ils éprouvent des difficultés à le faire, car les dispositifs sont insuffisants. Par cet amendement, il est proposé que le fonds d’investissement qui possède l’entreprise puisse s’engager à rétrocéder aux salariés une part des plus-values constatées lors de la cession par le truchement de l’accord d’intéressement. Pour ce faire, nous proposons de mettre en place un plan d’intéressement complémentaire reposant sur des objectifs pluriannuels. Telle est la nouveauté introduite par cet amendement : alors que les plans d’intéressement actuels sont liés aux résultats annuels ou même infra-annuels, ce plan d’intéressement complémentaire offrirait la possibilité de définir un objectif de performance pluriannuel et, ainsi, de permettre un meilleur partage des plus-values de cession en faveur des salariés."
Idée complexe à approfondir et à articuler avec l'affaire de la hausse de plafonds. A priori, voilà un potentiel d'usine à gaz législatif et réglementaire comme savent les produire tous ceux qui rêvent autour de l'épargne salariale. Du même tonneau que l'intéressement de projet imaginé dans les années 2000 (appliqué paraît-il uniquement sur le chantier de construction de l'aqueduc de Millau et jamais plus après) ou que la SICAVAS, dispositif technique qui encombre les textes est n'est utilisé que pour le groupe Eiffage, toutes les autres entreprises s'étant accommodées du disposition du FCPE pour mener leurs opérations d'actionnariat salarié à l'étranger.